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A propos

REVUE Artmajeur / Occitanie

                  Article Anne Devailly

                  N°1 - Janvier-février 2018

Texte de Bernard
Teulon-Nouailles
2016

La Mouche fait partie de ces lieux qui prouvent qu’une certaine vitalité se maintient du côté de Béziers, du moins pour ce qui concerne l’art dit contemporain. Et ce malgré l’hiver qui s’annonce. Estelle Contamin, et ses couleurs éclairantes, revigorantes, est avant tout peintre. Elle s’inspire le plus souvent de son univers familier, de ses proches et amis, mais comme perçus à travers le voile du temps qui passe et se fige. On est dans une figuration floutée, le plus près possible du paradis de la nature ou de l’enfance, telle qu’elle nous apparaît dans sa polymorphe étrangeté. Entre cette dernière et nous, en effet, que de difficultés de communication, dans la mesure où nous l’abordons avec notre logique rationnelle, quand elle est empreinte de spontanéité, d’adhésion immédiate au monde, et de poésie. C’est cette atmosphère, finalement très onirique, qu’essaie de capter l’artiste, dans des couleurs fraîchement sucrées, celles que l’on prête à l’enfance. Dans des lieux relativement intimistes également, jardins, terrasses, parfois un coin de plage. Plusieurs images se superposent, car tout est possible sur le plan du peint, comme en celui du rêve, lequel reste précisément en relation avec notre découverte originelle du monde. Ces petits êtres, sur la toile, ne posent pas. Ils sont saisis sur le vif. On comprend que l’artiste recourt à la photo, dont la peinture approfondit la platitude, lui prête corps, consistance et relief. Tel l’enfant, qui se moque bien du fini ou du léché, puisqu’il vit dans l’instant, Estelle Contamin ne cherche point à rendre un produit parfait. Elle laisse délibérément la peinture, redressée, couler tel un rideau protecteur ou filtrant, comme pour suggérer une maladresse, entériner une impression d’inachèvement – et envelopper les êtres d’un voile protecteur. Les enfants, tout à leur occupation, sont sans doute en quête d’une révélation que nous ne saurions cerner, si éloignés que nous sommes de cette période de la vie qui nous a formés. Car elle est découverte permanente, mais oubliée par l’adulte, sous les couches successives de la mémoire oublieuse. On peut également se demander si, à l’extrême, l’enfance, omniprésente dans ces tableaux, ne métaphorise pas ce renouveau de la peinture, auquel l’artiste participe. La sienne est en ce sens comme en devenir. Toutefois, son regard posé sur le monde ne se limite pas à l’univers figural. Parfois, c’est l’émerveillement primordial face aux rapports colorés qui caractérise ses tableaux, que l’on peut indifféremment considérer comme abstraits ou inspirés d’un détail d’une composition figurale dont on aurait perdu la vision d’ensemble. Ils sont de même facture, tout en transparence et délicatesse. C’est assez dire combien Estelle Contamin fait montre d’une très grande liberté dans son projet pictural. Ainsi elle aime laisser la toile s’émanciper de son cadre, ou de son support, et occuper les grands espaces des lieux d’exposition, irriguée par des perfusions hydratées, dégoulinantes d’effets aléatoires, enrichie de blocs de glace ou de macadam. L’œuvre alors se fabrique devant nous, et prend son temps pour diffuser les pigments sur les drapés concret et géants. La Peinture, ainsi perfusée peut dès lors envisager sa résurrection. Dans l’espace de ce lieu aux espaces généreux, on devrait découvrir les diverses facettes de cette artiste fine mouche. BTN

Jusqu’au 12 fév 2017, Lieu d’art La Mouche, Route de Corneilhan,

34500 Pradines le bas, Béziers 0467306352

Texte de Bernard
Teulon-Nouailles
2015

Pour la deuxième année consécutive la ville  de Lunel et la galerie Musidora du lycée Louis Feuillade coopèrent pour deux expositions quasi contigües, en l’occurrence d’une même artiste. Estelle Contamin fait partie de ces artistes qui participent au regain d’intérêt actuel pour la peinture, voire pour le tableau. En fait, elle s’exprime également par le biais de la photo, dont parfois elle se sert pour élaborer ses compositions picturales. Mais aussi par l’installation, assez spectaculaire, surtout quand elle met la peinture sous perfusion, comme pour mieux la revigorer, à grand renfort de tissus et de pigments.

De surcroît, elle mène de front deux pratiques : la figurative domine mais tellement éloignée des représentations conventionnelles et des factures trop souvent mises en exergue que sa peinture se définit par sa singularité et son originalité.

 

Par ailleurs, elle ne renie pas l’abstraction ne serait-ce qu’en explorant des détails de ses scènes intimistes, les personnages suivent plongés en pleine nature, du moins dans un jardin, une terrasse. Il s’agit souvent d’enfants, dans la grâce, la spontanéité, la candeur de leurs attitudes, leurs gestes, leur jeu. Le tout dans une fraîcheur colorée qui leur correspond bien et à toute la douceur qu’on leur souhaite.

Mais l’univers d’Estelle Contamin est volontairement flouté comme si entre l’enfance et nous, devait se profiler l’épaisseur du mystère, comme si quelque chose de nous nous échappait dans cette approche de ces petits êtres que nous croyons connaître mais dont l’esprit nous échappe. Tout comme ce qu’elle va devenir. Elle est perçue par les poètes tel un vert paradis, avec toute l’innocence, la transparence qu’on lui suppose, des tons pastel et allusifs. Le modèle en effet ne pose pas. Il est naturel et saisi dans cet état de nature. Toutefois tout paradis est conçu pour être perdu. On conçoit dès lors le recours au tableau. C’est qu’il devient un territoire qui préserve un peu de cette enfance en ces instants de grâce paradisiaque. Dont l’enfant ne se souviendra sans doute plus. Mais que la photo, le dessin, et a fortiori la peinture exalte. Un instant après tout vaut bien l’éternité. Le voile flouté concourt à cet effet d’environnement protecteur.

 

Par ailleurs l’enfance c’est le début d’une histoire, de l’Histoire. Estelle Contamin laisse délibérément la peinture, redressée, couler tel un rideau protecteur ou filtrant, comme pour suggérer une maladresse, entériner une impression d’inachèvement. Je me demande si à l’extrême, l’enfance, omniprésente dans ses tableaux, ne métaphorise pas ce renouveau de la peinture, auquel elle participe et dont on ne saurait d’ores et déjà dire ce qu’il en adviendra.

Estelle Contamin peint une peinture en devenir ; Cela vaut pour ses peintures abstraites, dont le prolongement, si la partie suggère le tout, pourrait aboutir à la figure, et participer à cette enfance de l’art, à cette reconstitution graduelle du paradis, à cette renaissance d’un genre par trop mal vu dans nos contrées myopes. Les floutés d’Estelle proposent d’aller y voir de plus près.

 

Bernard Teulon-Nouailles - 2015

Texte
de Audrey Koulinsky
2012

 

Estelle Contamin peint des figures muettes, tout occupées à leurs histoires intérieures : petites fictions que l’on se raconte devant un pot de terre, un agave, un chien, un parapluie.
Autour de ces figures, se juxtaposent, se chevauchent, voire se recouvrent en transparence, des éléments de paysage, des objets, des animaux, des plantes vertes, que l’on peut croire issus de strates temporelles différentes.
C’est que « les divers moyens picturaux utilisés par l’artiste (huile, acrylique, craie, bombe aérosol, mine de plomb) concrétisent [par l’hétérogénéité des formes et des factures], le fonctionnement polymorphe de notre inconscient. Et ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les toiles d'Estelle Contamin renvoient souvent à l'enfance, où ce dernier prend son essor. Ne demeure-t-elle pas pour les adultes une énigme ? »1
Scènes d’un monde rêvé, ou souvenu, ou fantasmé, d’un monde en tous les cas absent et que l’artiste cherche à amener à la présence. Et cherche avec un certain empressement, une certaine inquiétude de la perte définitive que serait la perte de l’image elle-même. Ainsi, Estelle Contamin, n’accorde-telle
pas trop d’importance au détail, ni à la dégoulinure, ni à la maladresse du trait, autant d’imperfections plastiques qu’elle conçoit comme immanentes à son sujet. Une figure, dont la matière est manifestement précaire, semble vouloir émerger d'un ensemble à la composition abstraite :
N'est-ce pas justement cela, l'enfance ?

 

Audrey Koulinsky-Courroy

(1) Bernard TEULON-NOUAILLE

Texte de Louis Doucet
2007

Démesure et sagesse

 

La peinture d’Estelle Contamin suscite, chez le spectateur, une intense sensation de plénitude qui se situe à l’opposé de la spéculation intellectuelle. Ses travaux, bien que solidement construits et composés, jouent avant tout sur le registre des sens, que ce soit au niveau de la forme, des couleurs ou des textures. Le mélange des pigments, de la craie, de la peinture à l’huile et de l’acrylique sur un même support évoque immanquablement l’art culinaire et ses savants dosages, tout dévolus à la satisfaction des sens.

 

Formes, couleurs et textures sont les éléments d’un langage expressif, essentiellement émotionnel, dont jaillissent lumières et transparences de paysages. Des paysages plus rêvés que réels, plus intérieurs que palpables, plus troublants que rassurants. L’artiste revendique pleinement cette position, notamment quand elle déclare : "Dans ma peinture, je suis à la recherche de sensations, autant gestuelles que visuelles, que du propre plaisir de peindre tout simplement et d’atteindre les gens dans leur sensibilité. J’aime l’approche d’une toile blanche pour m’y plonger d’une manière physique et imaginative, j’aime lier les couleurs, les transparences et les matières".

 

Estelle privilégie donc la dimension dionysiaque, par rapport à une démarche apollinienne. Depuis la publication de La Naissance de la tragédie, en 1871-1872, l’opposition entre apollinien et dionysiaque est devenue un des nombreux lieux communs de la critique artistique. Dans cet ouvrage, dont la fulgurance continue de nous surprendre, Nietzsche développe et met en perspective une antithèse déjà abordée par Plutarque et, plus près de lui, par Michelet dans sa Bible de l’humanité, publiée en 1864. Il reformule aussi, dans des termes réactualisés et plus universels, la dialectique beau - sublime de Kant ou l’opposition culture - nature de Rousseau. Plus près de nous encore, vers le milieu du siècle passé, la confrontation entre les abstractions dites froide et chaude ou lyrique et géométrique relève de la même antithèse ordre - désordre ou mesure - démesure. Cette dernière est la résurgence moderne de l’ϋβρις grecque, sous la puissante influence des Μοϊραι, personnifiées par le trio Κλωθώ, Λάχεσις et Άτροπος – la Fileuse, la Réparatrice et l’Implacable –.

 

Pour nous convaincre de cette inscription, il me semble tout à fait symptomatique de mettre en parallèle un propos de Nietzsche :

Le mot dionysiaque exprime un besoin d’unité, un dépassement de la personne, de la banalité quotidienne, de la société, de la réalité, franchissant l’abîme de l’éphémère ; l’épanchement d’une âme passionnée et douloureusement débordante en des états de conscience plus indistincts, plus pleins et plus légers; un acquiescement extasié à la propriété générale qu’a la vie d’être la même sous tous les changements, également puissante, également enivrante ; la grande sympathie panthéiste de joie et de souffrance, qui approuve et sanctifie jusqu’aux caractères les plus redoutables et les plus déconcertants de la vie : l’éternelle volonté de génération, de fécondation, de retour : le sentiment d’unité embrassant la nécessité de la création et celle de la destruction.

 

et une déclaration d’Estelle Contamin sur son travail et sa démarche :

Une passion, un besoin de dégager ce qui sort du corps… Ma peinture se base sur l’énergie picturale. Elle s’organise autour d’une dynamique de superpositions et de juxtapositions de plans provenant de sources différentes : intimes, perceptions mentales, réalités de mon environnement. Chaque toile montre l’insidieuse présence de l’inconscient chargé d’émotion, d’un instant, d’une pensée interprétée par le geste. La liberté de la main guide et se fait guider. Je définis ma peinture comme une peinture d’espace, composée de strates de couleurs, de touches picturales et de transparences. Dans la toile, je cherche une mise en forme hors champ : le fragment d’un univers intimiste et sensitif.

 

Nous sommes bien dans le même registre…

 

Creusons donc…

 

Dans Par delà le bien et le mal, Nietzsche poursuit son analyse en rattachant au dionysiaque et à la démesure la volonté de puissance, objet de ce qu’il désigne sous le terme de Tiefenpsychologie ou Psychologie des profondeurs.

 

Si le monde du rêve et des apparences, ou plutôt de l’apparence de l’apparence – l’apparence reflétée dans une autre apparence, ce qu’est, en fait, la peinture dite figurative – ressortit à Apollon qui en fait un outil de libération et de délivrance, à Dionysos incombe l’ivresse. Cette ivresse en forme d’extase spirituelle est une démarche régressive qui, partant de l’apparence, dépasse l’apparence de l’apparence pour rechercher un substrat, patrimoine commun indifférencié, quasiment génétique et qui transcende chaque individualité.

 

Nous sommes, ici, bien proche de ce qu’est l’art dit abstrait ou non figuratif, celui que pratique Estelle Contamin. Sa démesure s’exprime de bien des façons. Tout d’abord par un refus de la symétrie, particulièrement évident dans ses diptyques dont les panneaux sont de dimensions différentes, mais aussi dans toutes ses compositions par une sorte de déhanchement systématique qui conteste et anéantit toute velléité d’équilibre. Estelle est aussi démesurée dans son recours à la craie et au pastel, techniques traditionnellement réservées aux dimensions intimistes des portraits sur papier, pour des œuvres de grandes dimensions et sur toile. Démesure aussi dans les mélanges de médias et de techniques qui défient les lois de la chimie pour relever d’une alchimie incertaine. Démesure, encore, dans l’agrandissement aux dimensions d’un mur de ce qui n’est, à l’origine, que vision fugitive, comme celles qui apparaissent quand on presse un peu sur les globes oculaires, ou tache incertaine que le regard ignore ou minimise. Démesure, enfin, dans la volonté de montrer – pour ne pas dire exhiber – des images qui relèvent de l’expérience personnelle et les amener au statut de proposition universelle…

 

Pour les Grecs anciens, l’ivresse dionysiaque était le moyen privilégié d’accéder au divin, non pas par une démarche de sublimation, mais par un processus de réconciliation avec la réalité des choses existantes, au point même de justifier le mal humain, en abolissant toutes les différences perceptibles dans une sorte de fraternité universelle.

 

L’art dionysiaque dépasse et transcende l’imitation. Il est fusionnel et engloutit l’artiste dans la nature même, comme le constate et le proclame, non sans lyrisme, le Faust de Goethe :

        Stünd ich, Natur, vor dir ein Mann allein,
        Da wär’s der Mühe wert, ein Mensch zu sein.

ou :

        Wo fass ich dich, unendliche Natur?
        Euch Brüste, wo? Ihr Quellen alles Lebens

 

Pour Nietzsche, dans l’ivresse dionysiaque, le génie se fond avec l’artiste originel de l’univers, il pressent quelque chose de ce qui est l’essence éternelle de l’art pour devenir simultanément sujet et objet, poète, acteur et spectateur. C’est cette même ivresse qui fait écrire à Baudelaire :

 

        Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte !
        Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
        Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?
        Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !

 

Estelle Contamin s’inscrit dans la lignée de ces chercheurs d’inconnus, qui fréquentent avec délectation les gouffres amers ou cultivent avec application l’impératif rimbaldien : il faut se faire voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens.

 

Mais attention, il ne s’agit pas de folie. D’ailleurs, si Rimbaud utilise le mot raisonné à côté de dérèglement, autre expression de l’ϋβρις, ce n’est pas par hasard mais une référence consciente ou inconsciente à ce que Nietzsche désigne sous le terme de sagesse dionysienne. Son prototype du sage dionysiaque est le personnage de Prométhée, voleur du feu aux dieux pour l’offrir aux hommes. Feu indispensable, mais aussi générateur de désordres, de discordes, de violences et de démesure.

 

Ce Prométhée porteur de lumière – lucifère –, mais condamné à l’impuissance et enchaîné sur un roc, le foie dévoré sans relâche par un aigle vorace, n’est-ce pas l’image de la sage démesure que nous offre Estelle Contamin ?

 

Louis Doucet, mai 2007

Texte de Bernard
Teulon-Nouailles
2010

On a déjà repéré cette jeune peintre notamment à Art-Nim, et qui semble avoir réglé à sa manière la dualité abstraction/figuration que l’on dit caduque mais qui n’en finit pas de se poser en problématique.

Dans ses toiles en effet, qui fonctionnent souvent en diptyques, on repère aisément un fond particulièrement fourni de multiples tentatives de construction, d’effacements et de transparences, de chevauchements audacieux, qui viennent se résoudre et trouver leur unité au premier plan, par l’apparition d’une figure.

Dans les derniers tableaux, celle-ci est esquissée sous forme de cerne blanc, les couleurs sous-jacentes donnant en quelque sorte à ces corps d’enfants ou de couples (ou de couple adulte/enfant) la tendre chair de la peinture à même de leur permettre de s’incarner sous nos yeux. Les personnages émanent de ces scènes de la vie amicale, de gestes et attitudes familières, telle qu’on en perçoit régulièrement, et si propices à s’intégrer ensuite dans une composition.

Ce sont aussi des scènes de la vie domestique nous plongeant dans une certaine intimité qu’au fond elles symbolisent. Le geste d’un enfant jouant avec un tuteur devant deux pots de plantes, un apéritif entre amis dont ne nous sont représentés que les jambes laissées dans l’abandon de la détente ou de la fatigue, la tête penchée de l’homme s’adressant à voix complice à sa compagne, toute lunette de soleil en exhibition, une mère portant sa fille sur les genoux derrière une imposante plante verte, une enfant courant vers un oiseau géant et y perdant ses contours...

Tout cela relève à la fois d’une incroyable atmosphère de réalisme intimiste et en même temps on sent bien qu’on n’est plus dans le même monde. On flirte avec le fantastique et l’on est entré dans une dimension autre, quasi-magique.

 

Ce n’est pas par hasard si l’univers de l’enfance est aussi important. Le génie n’est que l’enfance retrouvée, avec la science des nombres en plus et l’esprit analytique. Mais que voyons-nous en définitive ? L’enfant au tuteur ressemble à une statue d’Eros, les têtes penchées du couple modèle sont unies par la couleur dans laquelle elles baignent, où se dessinent leur contour et qui n’est faite que de transparence. L’environnement est gommé, recouvert, effacé, laissant parfois surgir une figure identifiable, comme dans ce tableau que décrit Balzac dans son Chef d’œuvre inconnu et qui finit par devenir abstrait.

 

Estelle Contamin a su créer un monde personnel qui séduit mais suppose le danger, la menace, une fêlure, peut-être liée à la conscience que rien n’est fait pour durer en ce monde, sauf peut-être dans l’Art qui transfigure l’instant. On peut se noyer dans un bain de peint, on peut s’y engloutir, s’y effacer, y perdre sa silhouette, y laisser en quelque sorte sa peau. C’est qu’au fond, derrière l’image qui fixe les regards, ce qui intéresse cette artiste, c’est une histoire peinte, un autre type d’intimité qui passe par la matière et la plastique picturale. C’est la raison pour laquelle elle travaille des compositions abstraites, notamment sur papier. Elle y livre alors ses sensations primordiales à l’état brut, y élabore un autre espace intime qui n’entre pas en contradiction avec l’univers des tableaux mais montre que ce n’est pas seulement l’image qui doit captiver les regards.

Mais l’environnement auquel elle appartient et qui est proprement pictural… D’un intimisme en lequel se plonger.     
                           
Bernard Teulon-Nouailles - 2010

Texte de Bernard
Teulon-Nouailles
2009

Ce que nous croyons connaître des êtres qui nous entourent se cristallise souvent dans les images qui nous viennent spontanément à l'esprit lorsque nous y pensons. Le problème c'est que nous sommes cernés d'images en tous genres, dont des plus agressives, et que seules certaines sont à même de coïncider avec ce que nous sommes foncièrement, nous apportant la confiance et les repères à même de nous rassurer.

Il y a, chez Estelle Contamin, quelque chose comme une quête des images du passé mais elle ne les traite pas de manière réaliste, au contraire. L'image chez elle est comme brouillée à la fois par la matière picturale, livrée à sa propre expression, et par son emploi technique des procédés de chevauchement ou de juxtaposition. Ainsi ce qui se reconstitue de visible sur le tableau fonctionne-t-il à l'image de notre espace mental qui ne se prive pas de disposer des éléments divers sur un même plan, sans logique apparente. De même le rêve joue-t-il de déplacements et d'analogies à même de produire du sens.

C'est sans doute ce qui justifie le caractère effacé de la facture dans ses tableaux aux tons souvent pastel. Au demeurant l'ensemble des divers moyens picturaux utilisés par l'artiste (techniques mixtes, huile, acrylique, craies...) concrétisent, par les formes et la matière, le fonctionnement polymorphe de notre inconscient.

Et ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les toiles d'Estelle Contamin renvoient souvent à l'enfance, où ce dernier prend son essor. Ne demeure-telle pas pour les adultes une énigme et n'est-elle pas conçue tel un paradis perdu à quoi font penser certaines allusions édéniques de ses tableaux ? De même du règne animal, qui en est à certains égards si proche, mais toujours choisi dans la sphère du domestique ou du quotidien. Car nous avons affaire ici à une peinture que l'on pourrait qualifier d'intimiste et ce n'est pas par hasard si l'artiste accorde une place importante au dessin, il est vrai estompé.

 

Ceci dit, il ne faudrait pas s'imaginer que l'oeuvre d'Estelle Contamin ne connote que l'euphorie d'un sentiment océanique étalé sous nos yeux sur la toile. Des touches ou plages plus dramatiques viennent se superposer et faire écran. C'est qu'entre les images du rêve et celles de la réalité se cumulent de multiqles épreuves que sont pour l'être réel les obstacles auxquels l'existence nous confronte, pour le peintre celles inhérentes à sa production, à son travail si l'on préfère.

Dans cette perspective on a l'impression notamment dans ses réalisations sur feuille à dessin, que l'abstration masque en fait des images que ne demanderaient qu'à sourdre, qu'elle est un peu l'arbre que cache la forêt.

 

Toujours est-il qu'Estelle Contamin réhabilite ce que d'autres ont nommé le "stupéfiant image", sans complexe ni plan de carrière, sans doute parce que l'exercice de la peinture, du fait qu'il implique une durée, permet aux choses du monde d'émerger, de se décanter et au fond de se pérenniser sous nos yeux. A la pensée de se prolonger dans le geste. Jamais sans doute, alors que l'image se galvaude à tout va, n'avons-nous eu plus besoin de réviser nos vraies valeurs et de les partager avec d'autres. La peinture peut nous y aider et notamment celle d'Estelle Contamin.

 

Bernard Teulon-Nouailles - 2009

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